Qu’est-ce que le BoP?
Une évolution vers l’approche de marché est actuellement à l’œuvre à l’égard des populations pauvres dans les pays émergents. Un vaste champ théorique est en effet né autour de ce qu’il est convenu d’appeler les stratégies à la « Base de la pyramide » ou BoP (« Base of the Pyramid ») selon son acronyme anglo-saxon.
Développée pour les pays émergents, cette théorie – et les pratiques qui s’en inspirent – vise à assurer à un meilleur prix des services de meilleure qualité pour les quatre milliards de personnes vivant avec moins de 5 à 6 dollars par jour dans les pays émergents. Dans le même temps, et compte tenu de la taille de ce marché, cette théorie présume l’existence d’opportunités économiques considérables pour les multinationales.
Aussi la théorie BoP présuppose-t-elle que la lutte contre la pauvreté passe par une plus grande implication des entreprises, à condition qu’une stratégie spécifique puisse être déployée.
Une théorie née entre les Etats-Unis et le Bangladesh
En l’espace de quelques années, cette théorie a connu un succès considérable. Popularisé d’une part par des auteurs américains (C.K. Prahalad notamment) et par les initiatives liées au Social businessprônées par le prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus, ce concept a donné naissance à une multitude d’initiatives, tant sur le terrain qu’en terme de recherche académique.
Des différences profondes existent néanmois entre les approches desocial business et du BoP. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter le débat social business vs BoP.
Les pénalités de pauvreté
Un des points de départ essentiels, trop souvent négligé par les analyses sur la pauvreté, est l’importance de ce qu’il est convenu d’appeler les pénalités de pauvreté qui désignent le surcoût qu’un consommateur pauvre paie généralement pour ses produits et services.
Les populations pauvres souffrent du paradoxe indécent selon lequel elles paient souvent plus cher leurs biens et services que les populations plus aisées. Les taux de crédit auxquels avaient accès des clients pauvres dans les pays émergents ont été jusqu’au développement du microcrédit à des taux quasi-usuriers.
Mais ces pénalités peuvent survenir sur de nombreux secteurs. C.K. Prahalad compare notamment les prix de différents produits et services dans un quartier résidentiel et dans un bidonville de Bombay.
Bombay
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Dharavi (bidonville)
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Warden Rd Suburb (quartier résidentiel de Bombay)
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Multiplicateur
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Coût du crédit (taux annuel)
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600 / 1000%
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12-18 %
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60 / 75 x
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Eau municipale
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$1
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$0,03
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37 x
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Téléphone (minute)
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$0,04 / 0,05
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$0,025
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2 x
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Médicaments contre la diarrhée
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$20
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$2
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10 x
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Riz (kilo)
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$0,28
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$0,24
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1,2 x
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- Economique : il est possible pour des entreprises de corriger certaines défaillances des marchés informels et d’offrir des produits et services à moindre coûts. Le surplus apporté au consommateur –qui paie moins cher ses produits- se traduit bien par un accroissement de son revenu disponible.
- Moral : reconnaître aux populations pauvres le statut de consommateur ou d’emprunteur et non « d’assisté » est une marque de dignité et un facteur d’estime de soi. On soulignera une forme de renversement avec la théorie de la responsabilité sociale de l’entreprise qui préjuge que la responsabilité des entreprises en matière sociétale consiste à aider les populations pauvres dans une optique philanthropique. Le marché est ici considéré comme le lieu véritable de la dignité.
On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens disait le Cardinal de Retz. La formule convient bien aux tenants du BoP. Son caractère flou a en effet sans doute contribué à son succès. Le BoPs’impose en effet comme un concept « communicant », susceptible à la fois de désigner des initiatives très diverses et de mobiliser le monde des affaires sur les questions de pauvreté.Si la notion de BoP semble échapper à une prise conceptuelle sûre, c’est aussi dans le même temps cette condensation de sens différents qui fait l’efficacité du terme pour pénétrer la complexité concrète des stratégies d’entreprises à l’égard des consommateurs pauvres.